Où est le centre ?

Si j’épluche un oignon pour parvenir à son « cœur », je vais enlever des épaisseurs, des enveloppes d’abord épaisses, résistantes, les premières seront légèrement teintées par leur contact avec l’environnement, ridées, cassantes, plus je descendrais vers le cœur et plus la matière sera brillante, gorgée de jus, dense, compacte mais tendre, des fibres nourries sans relâche par l’énergie vivace.

Les enveloppes tombent les unes après les autres. Elles ne sont pas séparées entre elles, il n’y a pas de vide. Je distingue des liens, des filaments comme autant de points de contact, des passerelles par lesquelles le principe vital se transmet.

Je continue ma tâche, je veux arriver au cœur, l’oignon dans ma main est de plus en plus petit.

Et puis il n’y a plus rien. Rien de dur, rien de solide, juste un « cœur » aussi tendre et fragile que toutes les peaux que j’ai enlevées. Je peux ainsi continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une accumulation de voiles diaphanes et fragiles. Rien ne résiste à la lame de mon couteau.

L’embryon au centre n’est qu’un infime grain.


L’homme est un oignon !

Il n’y a rien au centre, pas de nœud vital, pas de cœur dur, solide, pas de structure figée. Il est couvert de peaux internes, toutes les expériences liées à ses conditions de vie. Elles forment un entrelacs de matières toutes reliées entre elles par des réseaux gorgés d’énergie. Il lui appartient de ne pas perturber les flux, de ne pas obstruer les canaux nourriciers.

Il est inutile de vouloir éplucher » l’individu en quête d’un centre primaire. Il n’y a rien. L’énergie est le centre elle-même. L’égo, l’âme, l’esprit, le corps, l’intellect, le corps émotionnel, le corps astral, l’aura, tout cela n’est qu’un amalgame de peaux nourries par le principe vital. Il est vain de vouloir s’en défaire en espérant atteindre le nœud, le cœur, la plénitude, la source, le nirvana…

Rien n’existe hors de cette énergie. Les entités sur lesquelles l’individu fixe son attention ne sont que des structures imaginées par la vie elle-même comme autant de supports. Celui qui envisage l’éveil en se débarrassant des « peaux » internes court à sa perte. Il n’y a pas de cœur, il n’y a pas de centre. L’énergie est là, constamment, elle ne cesse jamais son œuvre. C’est notre mental prétentieux qui le couvre d’intentions enluminées par des désirs de maîtrise. Comme si un gourou pouvait ressentir la vie en moi et me la faire trouver. Il ne peut que me parler de ce qui coule en lui et de sa façon de le percevoir. En quoi cela pourrait-il m’aider ? Il va me nourrir de l’illusion de ce que j’imagine. Si je deviens ce gourou infatué et me gave de connaissances livresques, de méthodes méditatives, de mantras récités pendant des heures sur mon coussin, de rejets de toutes les « peaux » qui me constituent je nie en moi les flux nourriciers, je m’oppose à ce que la vie a constitué et qui doit me servir de guide. Je suis le centre, je suis le cœur, il n’y a rien de caché, il n’y a rien à découvrir, tout est là, tout est à portée de mains, à portée de cœur, à portée de conscience, peu importe l’expression, ce ne sont que des mots, la réalité est là, visible, palpable, offerte. Si je m’épluche, si je cherche à me défaire des vieilles peaux, si je cherche à me dénuder je ne fais que me fragiliser, je détruis la structure en croyant me trouver. Mais qu’est-ce que je trouve ? Un individu limité par le nombre de liens perdus, par toutes les fibres disparues, des connexions qui se réduisent comme peau de chagrin. Je perds toutes les opportunités de saisir la vie, de l’exploiter dans le champ du réel.

J’aime serrer la femme que j’aime dans mes bras, j’aime sentir en moi l’amour qui me bouleverse. Est-ce que je devrais m’en priver pour ne pas en être dépendant, pour ne pas risquer d’en souffrir, pour ne pas imaginer ce qui adviendrait si elle disparaissait de ma vie ? Tout cela n’est pas réel. Ca n’est que mon imagination qui s’emballe. La réalité, c’est ce bouleversement délicieux lorsque je plonge dans ses yeux, cette communion d’énergie, cette osmose d’énergie qui nous amène à nous relier par nos corps. Tant que je suis dans cette réalité et que je ne l’affuble pas de dispersions mentalisées, tant que ce mental reste au service des caresses que je lui prodigue, ouvrier de la tendresse, de l’attention, de l’amour partagé, je suis au centre de l’énergie, je suis le cœur de la vie.

Je suis amoureux, je suis père, je suis mari, je suis instituteur, alpiniste, cycliste, marcheur, écrivain, émerveillé, contemplatif, actif, attendri, bouleversé, amoureux, amoureux, amoureux…

Je suis ce que la vie fait de moi. Rien d’autre. Il ne me reste qu’à l’accueillir à travers toutes les peaux qui me constituent, sans rien rejeter, dans le plus pur détachement, rien ne m’appartient, tout m’est donné. Je suis le réceptacle, le calice et si je cogne à grands coups de burins sur la masse en pensant l’embellir je créé une brèche et le flux s’écoule et se perd. Et je m’étiole comme un ruisseau coupé de sa source.

Je suis dans le courant et il me constitue. Il est le centre et de me donne forme.

Et j’aime infiniment la multitude de ses arabesques. "

Ca n'est qu'une réflexion qui me concerne, pas une vérité intangible.Evidemment.

Ah bien, quel plaidoyer !

Thierry a écrit:

Je suis ce que la vie fait de moi. Rien d’autre.

D'accord partiellement. Très fréquemment, dans la vie, nous avons des choix à faire, le choix entre deux ou plusieurs voies. Ces choix peuvent changer le cours de notre vie même si, au plus profond de nous-mêmes, nous n'avons pas toujours eu le choix.

Une partie de nous a été forgée par notre éducation et nos expériences. Serions pareils si nous étions nés ailleurs, sous d'autres cieux, voire dans un autre milieu ou une autre époque ?

Serions-nous identiques si nos choix avaient été différents ? Tu aurais pu choisir de ne pas te marier (ou vivre en couple), ou encore de ne pas avoir d'enfants : tu ne serais pas le même !

Quel beau texte Thierry, qui demande réflexion.

Comme le dit Nelly, suivant son parcours, sa vie prend une direction ou une autre.

Comparer l'homme à un oignon, me rend perplexe. Il est vrai que tu dis "homme", pour une femme je verrai plutôt une rose, éffeuiller les pétales... mon côté romantique sans doute

Brumes a écrit:

Quel beau texte Thierry, qui demande réflexion.

Comme le dit Nelly, suivant son parcours, sa vie prend une direction ou une autre.

Comparer l'homme à un oignon, me rend perplexe. Il est vrai que tu dis "homme", pour une femme je verrai plutôt une rose, éffeuiller les pétales... mon côté romantique sans doute

mais ...on a déjà la marguerite?
laissez la rose tranquille! me tirer les pétales

Oui, bien sûr, nous avons parfois des choix qui se proposent. Mais je fais une distinction entre ce que j'appelle "les conditions de vie" et "la conscience de la vie".
A 47 ans, le parcours n'est pas linéaire et pourtant j'ai l'impression que cette "conscience", elle, n'évolue pas, elle est constante, intangible. Par contre l'interprétation que j'ai de mes conditions de vie peuvent effectivement me diriger vers certains choix. Mais dans ce cas là, il s'agit d'une "réaction", juste d'une adaptation. Ca ne change rien à la conscience.
Il a fallu que j'en passe par des phases douloureuses pour en arriver là. Je me suis longtemps demandé s'il s'agissait simplement d'une façon d'enjoliver les choses et puis les conditions de vie se sont encore aggravés.
J'ai lu une phrase dans un livre." A ma vie on peut tout faire, à la Vie en moi on ne peut rien." C'était une femme juive à Austchwitz. Et puis il y a eu un rêve dans lequel j'entendais "Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va." Des bulles bleues, comme des auras.
C'est là que ça a basculé.
Les pensées peuvent commenter la vie mais elles ne sont pas la Vie.
Difficile de résumer tout ça aussi succinctement...

Thierry!
Je vois ton texte comme le témoignage d'un occidental amateur de sagesse orientale mais heurté par les exigences de l'ascèse qu'elle induit car il est difficile de renoncer à l' épicurisme qui fait aussi la beauté de notre culture.
Tu me dis si je me trompe, je crois que nous sommes nombreux ainsi!

stip a écrit:

Thierry!
Je vois ton texte comme le témoignage d'un occidental amateur de sagesse orientale mais heurté par les exigences de l'ascèse qu'elle induit car il est difficile de renoncer à l' épicurisme qui fait aussi la beauté de notre culture.
Tu me dis si je me trompe, je crois que nous sommes nombreux ainsi!

Oui Stip, c'est vrai que mes lectures et mon envie de vivre se tournent vers les philosophies orientales. Mais je ne pense pas qu'il y ait dans ces dimensions une ascèse quelconque. Que ce soit le Dalaï Lama, Swami Prajnanpad, Arnaud Desjardins, Douglas Harding et tous les autres on ne trouve pas une tendance à la "privation" des bonheurs terrestres ou une quelconque interdiction telles qu'ont peut en trouver dans les religions monothéistes par exemple.

Thierry a écrit:

" A ma vie on peut tout faire, à la Vie en moi on ne peut rien." C'était une femme juive à Austchwitz.

Une phrase terrible pour décrire la fuite, l'abandon de soi pour pouvoir faire face à l'horreur, à une mort injuste possible.

Pour moi, se laisser vivre=survivre

Thierry a écrit:

Mais je fais une distinction entre ce que j'appelle "les conditions de vie" et "la conscience de la vie".
A 47 ans, le parcours n'est pas linéaire et pourtant j'ai l'impression que cette "conscience", elle, n'évolue pas, elle est constante, intangible. Par contre l'interprétation que j'ai de mes conditions de vie peuvent effectivement me diriger vers certains choix. Mais dans ce cas là, il s'agit d'une "réaction", juste d'une adaptation. Ca ne change rien à la conscience.

L'un influence l'autre et dans les deux sens. C'est, il me semble une conscience modifiée qui permet de sortir d'une condition de vie, tout comme une condition de vie modifie ses perceptions, donc sa conscience de la vie....

Ah, quel plaisir de revoir le joli papillon !

C'est gentil,Brumes

Mais quand Thierry a intitulé cette discussion "Où est le centre ?", je doute fort qu'il faisait référence à ma personne...

Et la pauvre Nelly !!! Encore coupage en vue...

Thierry a écrit :

Citation :

Oui Stip, c'est vrai que mes lectures et mon envie de vivre se tournent vers les philosophies orientales. Mais je ne pense pas qu'il y ait dans ces dimensions une ascèse quelconque. Que ce soit le Dalaï Lama, Swami Prajnanpad, Arnaud Desjardins, Douglas Harding et tous les autres on ne trouve pas une tendance à la "privation" des bonheurs terrestres ou une quelconque interdiction telles qu'ont peut en trouver dans les religions monothéistes par exemple.

Moi aussi Thierry j'aime beaucoup tous ses philosophes, j'ai lu des livres sur le Dalaï Lama, Je connais les citations de Arnaud Desjardins, et aussi Mathieu Ricard. Ils nous montrent que le bonheur existe, et qu'il est en nous, et qu'il est présent dans toutes les petites choses de la vie. J'ai lu une phrase il n'y a pas longtemps qui disait : si tu veux donner du bonheur aux autres, commence toi par l'être, c'est en te voyant heureux que les autres auront envie de l'être. (J’espère que je ne suis pas hors sujet, ce sont des discutions que j’aime beaucoup, mais souvent je ne trouve pas les mots pour dire ce que je ressens, c’est pourquoi je lis beaucoup, et dans ces lectures, philosophiques ou spirituelle, je retiens des passages qui me touchent et que je partage pour dire ce que je ressens.) c’était juste une petite explication.

Lisa a écrit:

C'est gentil,Brumes

Mais quand Thierry a intitulé cette discussion "Où est le centre ?", je doute fort qu'il faisait référence à ma personne...

Et la pauvre Nelly !!! Encore coupage en vue...

mais non,mais non! ne devenons pas parano mes enfants!

renal a écrit:

Thierry a écrit :

Citation :

Oui Stip, c'est vrai que mes lectures et mon envie de vivre se tournent vers les philosophies orientales. Mais je ne pense pas qu'il y ait dans ces dimensions une ascèse quelconque. Que ce soit le Dalaï Lama, Swami Prajnanpad, Arnaud Desjardins, Douglas Harding et tous les autres on ne trouve pas une tendance à la "privation" des bonheurs terrestres ou une quelconque interdiction telles qu'ont peut en trouver dans les religions monothéistes par exemple.

Moi aussi Thierry j'aime beaucoup tous ses philosophes, j'ai lu des livres sur le Dalaï Lama, Je connais les citations de Arnaud Desjardins, et aussi Mathieu Ricard. Ils nous montrent que le bonheur existe, et qu'il est en nous, et qu'il est présent dans toutes les petites choses de la vie. J'ai lu une phrase il n'y a pas longtemps qui disait : si tu veux donner du bonheur aux autres, commence toi par l'être, c'est en te voyant heureux que les autres auront envie de l'être. (J’espère que je ne suis pas hors sujet, ce sont des discutions que j’aime beaucoup, mais souvent je ne trouve pas les mots pour dire ce que je ressens, c’est pourquoi je lis beaucoup, et dans ces lectures, philosophiques ou spirituelle, je retiens des passages qui me touchent et que je partage pour dire ce que je ressens.) c’était juste une petite explication.

Et elle est tout à fait dans le sujet ^^
C'est ce que j'aime justement dans les philosophies orientales, c'est leur application possible dans nos conditions de vie. C'est beaucoup plus abscons chez les philosophes occidentaux en général. J'aime beaucoup André Comte Sponville par contre et il y en a d'autres.
D'ailleurs dans l'Orient il est connu que la philosophie s'apprend à lavant la vaisselle par exemple ^^Etre là et maintenant.

Thierry si tu as le temps, je te propose une adresse d'un blog, pas un forum, celui d'une amie, ou tu trouveras surement des choses qui devraient te plaire.
http://www.blogg.org/blog-44210.html ce blog s'appelle Paix des Âmes.
Et aussi peut être le mien, si ca te dit.
http://philosophie-poeme.kazeo.com

Ce ne sont pas des forums mais c'est interressant aussi.