philo Z'amis
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| Un instant | |
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Thierry ****
| Sujet: La douleur et la patience Mer 21 Nov - 7:55 | |
| Écrire, écrire, écrire. Le silence des mots dans le foisonnement des idées que je porte est redoutable, je voudrais les arracher à ce chaos intérieur, qu'ils soient immédiatement accessibles, qu'ils jaillissent à l'instant même où ils deviennent indispensables...
Mais je n'en suis pas là alors, je cherche, je cherche, j'écris, j'efface, je recommence, j'écris, j'efface, je recommence, j'écris, j'efface, je recommence... Levé à quatre heures... Et au bout de deux heures, j'ai fini dix lignes que je recommencerai demain.
La douleur et la patience. Je sais aujourd'hui que je n'ai aucun talent, que rien ne me sera jamais facile, que je devrai travailler, travailler, sans relâche. Le talent n'a pas besoin d'être travaillé, il est là, il est constant, immuable, ineffaçable. Je ne me libèrerai pas de cette douleur de l'enfantement des mots. Mais j'apprends, peu à peu, la patience. Je n'ai plus de colère contre moi-même.
J'ai même appris à pleurer de bonheur quand parfois les mots me viennent, se découvrent et que jaillit cette chaleur intérieure qui me bouleverse. J'ai appris à laisser les larmes couler, à me fondre dans cette émotion suprême de la création qui me transporte. J'ai appris à n'avoir aucune prétention envers ce bout de phrase qui s'offre à moi, je sais que je n'y suis pour rien, que je n'ai rien trouvé, que tout est là, autour de moi, dans l'espace, tous les mots, toutes les émotions et qu'il s'agit juste d'apprendre à s'ouvrir, à recevoir. Je ne crée rien de personnel, sinon cette brèche dans la muraille de mes intentions. Je n'ai réussi à écrire que lorsque je n'ai plus voulu le faire. C'est comme un chat sauvage qu'on voudrait apprivoiser. L'intention est un repoussoir. Il faut juste s'asseoir, ne rien dire, ne rien tenter et le laisser se mouvoir. Peut-être, qu'un jour, il s'approchera, peut-être qu'un jour, il acceptera de sentir la main tendue. Mais si je m'approche de lui, je sais qu'il partira. Les mots sont des chats sauvages. La douleur de ne pas parvenir à les caresser à l'envie est une douleur fabriquée. La patience est le remède. Alors, je me lève la nuit, je m'assois, je m'immobilise, je ferme les yeux et j'entre dans cet espace intérieur où la volonté n'est pas de mise. Et parfois, parfois, les mots s'approchent... Souvent, je me suis laissé prendre par l'euphorie et j'ai tendu brutalement une main avide, j'ai voulu accélerer le mouvement, imposer mes désirs, je suis retombé dans les travers prétentieux de l'homme qui se croit écrivain. Et tout disparaissait. J'en voulais aux mots, je les maudissais, cette envie furieuse de les abandonner. Vaste supercherie. Ils n'ont pas besoin de moi. Plus tard, inévitablement, je revenais m'asseoir puisque moi, j'ai besoin d'eux. J'acceptais qu'ils soient les Maîtres. C'est le chat qui décide d'aller vers la main tendue. Patience, patience, immobilité intérieure, ne rien vouloir, ne rien attendre, être dans l'absence pour être présent.
J'ai connu, parfois, des frôlements, des contacts furtifs, des effleurements infimes, j'ai connu des nuits d'ivresse aussi, des étreintes enflammées.
Je sais maintenant que rien n'est durable. Les mots ne seront jamais apprivoisés. Ils reprennent leurs distances comme bon leur semble. Et si la colère m'envahit, si je la laisse m'emporter, ils s'éloigneront davantage. L'humilité. C'est sans doute ce que j'aurai mis le plus de temps à comprendre, à apprendre, à garder.
L'humilité. | |
| | | anémone ******
| Sujet: Re: Un instant Mer 21 Nov - 8:31 | |
| très beau Thierry. L'écriture est un refuge, une sorte de thérapie, et tu sais si bien la mettre en page. Avoir le don d'humilité n'est pas donné à tout le monde, mais je pense qu'au fil des ans ça s'apprend et se cultive. Continue à nous régaler de tes mots. Merci | |
| | | marie-josé ******
| | | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Mer 21 Nov - 10:26 | |
| - marie-josé a écrit:
- très beau Thierry
Egoïstement , nous sommes ravis que tu as un peu de temps pour venir ici, cela nous donne l'occasion de nous délecter de ta plume. MERCI
comment après avoir écrit la SERIE JARWAL, tu peu encore douter de ton talent En lisant les réponses des éditeurs... | |
| | | anémone ******
| | | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Mer 21 Nov - 11:03 | |
| Je ne pense pas Anémone que tous les gens édités aient eu des passe droits. Un éditeur m'a bien dit que mon seul défaut était de ne pas vivre à Paris mais il y a bien des provinciaux qui décrochent le Graal. Il serait trop simple de rejeter toute la faute sur le système. | |
| | | anémone ******
| Sujet: Re: Un instant Mer 21 Nov - 12:12 | |
| - Thierry a écrit:
- Je ne pense pas Anémone que tous les gens édités aient eu des passe droits. Un éditeur m'a bien dit que mon seul défaut était de ne pas vivre à Paris mais il y a bien des provinciaux qui décrochent le Graal. Il serait trop simple de rejeter toute la faute sur le système.
tu as raison, tous les écrivains n'ont pas eu d'appui, mais ça doit bien aider. Quand nous étions dans la région parisienne, Rime ( par connaissance ) aurait pu faire éditer ses poèmes , cela coûtait assez cher ( nous ne pouvions pas...)et surtout comme il écrit par plaisir suivant ses inspirations, c'est pour lui même et quelques amis...donc il n'a pas donné suite. | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Mer 21 Nov - 12:43 | |
| Je viens d'envoyer mon dernier roman par mail à deux maisons. J'essaie de ne plus faire d'envoi papier, ça coûte trop cher. Réponse dans trois semaines ou dans six mois, comme d'habitude... | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Un instant Jeu 22 Nov - 21:09 | |
| Je me suis inscrit à un concours littéraire sur le thème : "Un instant".
J'ai cherché dans les kilomètres de pages que j'ai écrites.
Un sujet qui me touche particulièrement.
Je fais une distinction entre le présent et l'instant présent.
Je lis parfois qu'il faut rester dans l'instant présent. Je pense que pour y parvenir, il convient au préalable d'avoir identifié le présent et d'avoir appris à en nourrir l'instant présent.
Vivre dans le présent consiste à unifier en soi les expériences du passé et à s'en servir pour les projets à venir.
Mais lorsqu'il s'agit d'être dans l'instant, le présent n'existe plus. L'instant présent est une dimension intemporelle.
C'est ce que j'ai cherché à traduire dans les textes suivants.
INTEMPOREL
Cet été, j'ai fait mon premier vol biplace en parapente. Très impressionnant. On n'imagine pas quand on les regarde d'en bas à quel point ça peut brasser quand on monte de sept mètres par seconde dans un thermique... Il vaut mieux ne pas avoir chargé l'estomac avant. Mais là n'est pas l'essentiel. Pour rejoindre le décollage, tous les participants prennent une navette, un minibus de neuf places. Douze kilomètres de montée sur une route sinueuse et étroite. Je me suis assis sur la banquette du fond aux côtés de mon plus jeune garçon et de son amoureuse. Tous les autres passagers étaient des adultes. Les gens parlaient entre eux pendant que les deux adolescents à mes côtés se câlinaient en se regardant dans le fond des yeux. Sans rien fixer de précis, les yeux envahis par les immensités et les couleurs des montagnes, je regardais rêveusement le paysage par la fenêtre et j'écoutais d'une oreille distraite les quelques échanges qui me parvenaient : des vols merveilleux au-dessus des montagnes, une nouvelle voile performante, la prochaine compétition, un nouveau site à découvrir, des voyages, un accident... Des discussions de passionnés à d'autres passionnés. A la sortie d'un virage dans lequel je trouvais que le conducteur était passé très près du fossé, j'ai senti que je n'étais pas là. Une impression indéfinissable. Soudaine. Un vide étrange, un instant suspendu, comme si je n'existais pas. Je sentais bien que quelque chose était là puisque "je" voyais le paysage, que j'entendais les discussions, que je me faisais des remarques sur le conducteur... Mais je ne parvenais pas à avoir une image de celui qui vivait tout ça, comme si le récepteur de ces impressions n'était pas réel, comme s'il ne s'agissait que d'un rêve et que je n'étais même pas le rêveur.
Je n'arrivais pas non plus à me situer parmi tous les passagers. Je savais très bien que je n'étais pas comme les deux adolescents à mes côtés mais je ne pouvais pas non plus m'identifier aux adultes présents. Je n'étais pas parmi eux en tant qu'individu reconnaissable, je ne pouvais pas établir à travers leurs regards la consistance de mon être, je ne pouvais pas prendre forme en me nourrissant de leurs attentions, tout ça n'était qu'un mirage. Je n'avais pas d'âge. J'essayais de visualiser mon visage et je n'en avais aucune image nette, comme s'il me fallait nécessairement un miroir pour pouvoir "matérialiser" cette entité pensante qui s'interrogeait sur son existence. Un sentiment très étrange. Intemporel. Une perdition totale, brutale, comme un vide incommensurable et pourtant une absence totale de peur, aucune interrogation, aucune inquiétude ou tentative de rappel, de réveil ou je ne sais quelle réaction de survie...Je me suis laissé partir. La montée était longue. Je me suis souvenu de toutes ces impressions particulières, dans différentes situations, cette inexplicable sensation de n'avoir pas d'âge, de ne pas faire partie intégrante du groupe de gens, une impossibilité d'exister dans cette activité sociale, comme si au-delà des regards que je pouvais recevoir, des paroles qu'on pouvait me proposer, des idées mêmes qu'on pouvait m'attribuer, qu'au-delà de ce foisonnement d'émotions il n'y avait rien... Des plongées abyssales dans un néant de plénitude, une abolition totale de toute appartenance intérieure ou de notion de temps. Les images reçues de l'extérieur n'avaient aucune réalité. Et rien n'était là pour recevoir cette sensation d'inexistence. Impossible de décrypter l'entité. Je n'étais rien, qu'un vide animé par une palpitation innommée. L'idée soudaine que ce vide en moi contenait en fait la source même de la vie, de cette vibration inexpliquée, de la cohésion des cellules, l'aimantation des molécules. La seule réalité. J'ai vu là, dans ce noir d'univers opaque et stable une absorption irrémédiable de toutes les images inhérentes à mon être social, comme un trou noir engloutissant un conglomérat disloqué de matières recyclables... Je n'ai rien cherché à maintenir. D'ailleurs, je ne maîtrisais rien, il n'y avait rien de volontaire, ni de construit, ni d'intentionnel, comme une marée cosmique qui emportait les résidus éparpillés d'un moi illusoire. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Un instant ou une heure. Je ne sais pas. L’effacement de mon identification avait emporté la notion de temps avec elle.
C'est l'arrêt brutal du fourgon au bout de la piste qui m'a ranimé en me plongeant de nouveau dans le "sommeil". Je suis allé voler avec mon moniteur, sous une grande voile rouge dont je voyais l'ombre avancer sur la cime des arbres.
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| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Jeu 22 Nov - 21:10 | |
| ÉTRANGE INSTANT
Il m'arrive parfois de "décrocher" complètement de toutes réflexions, d'évoluer dans une sorte d'absence intellectuelle ou spirituelle et simultanément, je perçois par moments une sorte de félicité, de béatitude, comme si une épuration intérieure s'était faite sans que je n'intervienne, sans que je cherche par un cheminement précis et maîtrisé à atteindre ce "silence"...
Je suis là. Depuis quelques jours. Rien. Et pourtant un tel bonheur, des bouffées de joie soudaine, sans aucune raison précise, juste un flamboiement qui ne m'appartient pas, qui tombe en moi de je ne sais où, qui jaillit d'un antre inconnu. Ça ne m'appartient pas, je n'y peux rien. Tout comme la Vie en moi d'ailleurs. Peut-être est-ce tout simplement ça la sensation de la Vie? Quelque chose qui ne peut pas être identifié, qui n'a pas de nom, qui ne peut pas être saisi au vol, ni étouffé lorsque "ça" surgit. Un flot de frissons, un regard qui se perd, le corps qui s'arrête, les pensées qui s'envolent. Rien et pourtant tellement.
Je coupais du bois ce matin. La tronçonneuse plein les oreilles. Les muscles tendus, concentration, je n'aime pas cet engin, je sais les dégâts qu'il peut faire.
Et puis, là, soudain, sans que rien ne le laisse prévoir, un courant chaud qui se déverse en moi, dans les fibres, une cascade ardente, des frissons, une chaleur étrange derrière les yeux. C'est toujours là, rien que de l'écrire, mais c'est la mémoire qui le réactive et ça n'a pas la même puissance. C'est juste un rappel émotionnel. Ce matin, c'était comme un premier amour, quelque chose que je n'aurais jamais éprouvé encore, une explosion. Etrangement, lorsque ça survient, c'est à chaque fois différent. Dans les circonstances, dans les effets, la durée, les ressentis. Mais l'émotion est toujours aussi vive. C'est beau à pleurer. Les émotions premières sont les plus belles. Celles qui suivent ne sont que des résidus mémorisés. On ne va pas s'en priver pour autant mais ils n'auront jamais l'incandescence des incendies originels.
J'ai coupé la tronçonneuse, je me suis assis sur un tronc.
J'ai laissé ruisseler.
Et puis ça s'est arrêté.
Les premières fois, c'était il y a cinq ans. Je sortais "miraculeusement" de trois hernies discales. J'aurais pu ne plus jamais marcher. Alors je marchais, la nuit parfois, pendant des heures. On n'imagine pas ce que ça représente de lancer un pied devant l'autre quand on est passé tout près du fauteuil roulant. C'est bien dommage d'ailleurs. Cette incapacité à saisir au plus profond le bonheur de tout ça. Uniquement après avoir failli tout perdre.
D'où vient cette méconnaissance de la Vie, d'où vient cette distance inconcevable, méprisante, cette futilité de nos actes, non pas nécessairement dans leurs nécessités mais dans la conscience de ce qui s'y trouve ? Chacun de mes gestes, chaque instant, chaque seconde, chaque battement de paupières, ce mystère du cœur qui bat, ce flux sanguin, l'incommensurable complexité de ce corps, ce fonctionnement qui m'échappe, pas tous les "comment", mais intrinsèquement le "pourquoi", ce hasard ou ce destin tracé, cette chance ou cette volonté, ce miracle ou ce choix, rien ne m'appartient dans cet état de conscience insipide dans lequel j'évolue.
Hors du temps. C’est aussi la particularité de la chose. Il ne reste que l’instant. Je suis incapable d’en mesurer l’étendue. C’est comme si j’étais suspendu en l’air, dans un espace qui ne s’étire pas vers le futur, qui n’a pas d’histoire, qui n’est rien d’autre que l’instant. L’instant vide de tout ce qui ancre l’humain, l’instant qui n’a plus de durée.
Qu'est-ce qui se passe en moi lorsque l'incandescence jaillit ? Est-ce enfin l'apparition de la Conscience, un état de pureté et de réception enfin libéré, par-delà les pensées, par-delà la raison, un lien qui se créé avec le Vivant en moi, autour de moi, comme une connexion retrouvée. N'est-ce pas ça la nostalgie, ne prend-elle pas sa source dans ce calice égaré, cette nostalgie sans raison, cette tristesse sans cause, comme si quelque part en nous pleurait un Etre qui souffre et se plaint ?
Le bonheur ne serait-il pas tout simplement d'être ce que nous portons ?
Au lieu de vouloir être ce que nous voulons devenir.
Nous sommes déjà nous.
L’instant est le calice.
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| | | grand pierre ******
| Sujet: Re: Un instant Ven 23 Nov - 8:41 | |
| J'aime beaucoup tes écrits Thierry, cette façon de décrire l'indescriptible qui nous propulse hors du temps voire hors de nous même. Ton vécu n'est pas innocent à cette sensibilité, cette jouissance de l'instant, malheureusement incontrôlable, mais tellement agréable lorsqu'elle survient. Certaines expériences de la vie nous ouvrent des fenêtres que tant d'autres ne connaitrons jamais. | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Ven 23 Nov - 8:53 | |
| Merci GrandPierre C'est certain que mon parcours y est pour beaucoup. Je n'aurais jamais écrit ça à vingt ans. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Ven 25 Jan - 17:14 | |
| Hello la belle équipe ^^Bon, c'est sûr, ça fait encore longtemps que je n'avais pas montré le bout de mon nez...L'impression de vivre à mille à l'heure. Un de mes textes a été retenu par le comité de lecture de ce concours, invitation au salon du livre à Paris en Mars. Je bosse pour la classe, mes 30 élèves de CM2, des heures de correction et de préparation, des rencontres avec les parents, avec la psycho, les éducateurs, les assistantes sociales, pédo psychiatre et autres gentes personnes...Inspection à venir après un "lapin" de l'inspecteur qui devait venir cette semaine. Des nuits à écrire. Des jours à courir en montagne. Quatorze sommets en ski de rando depuis le début de l'hiver, 750 km en skating et la première sortie à vélo de l'année samedi dernier sous la neige ^^ Bon, parfois je dors et le plus souvent possible, je câline ma princesse. Et puis nos trois ados à plein temps;
Une opération d'une hernie inguinale en novembre et qui a tourné à l'hémorragie interne. Du sang partout, une vraie boucherie. J'ai pas voulu y retourner. Maintenant, j'ai un hématome de la taille d'un gros marron à un demi millimètre de l'artère fémorale et qui comprime une veine. Ça passera avec le génépi ) De toute façon, j'ai l'habitude et les douleurs finissent toujours par se fatiguer avant moi. Voili, voilou. | |
| | | stip ******
| Sujet: Re: Un instant Ven 25 Jan - 17:39 | |
| Thierry, parfois tu me fais peur avec ta santé Bravo pour ton texte, peut-on le lire? si tu viens au salon du livre, dis-nous quand, que ceux qui le peuvent viennent te saluer ! | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Ven 25 Jan - 18:45 | |
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| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Ven 25 Jan - 18:51 | |
| Voilà la première version du texte. En cours de correction avec les organisateurs du concours. Deux, trois choses qu'ils aimeraient changer mais sur le fond, ça reste "un instant particulier".
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Le petit pont constituait une sorte de frontière entre la forêt traversée par de multiples sentiers et « les Marais du bout du monde. » Il s’agissait simplement de trois troncs posés au-dessus d’un étroit couloir. À cet endroit, la zone marécageuse était considérablement rétrécie. Le pont, un mètre au-dessus de l’eau stagnante, formait la jonction entre les deux parties. De chaque côté s’étendait un gué naturel, renforcé par de nombreuses pierres et branchages. Cet aménagement permettait de continuer la marche pour un promeneur bien chaussé. C’était le passage obligatoire pour tout chasseur de sarcelle ou de colvert. Lorsqu’il franchissait les trois troncs, l’homme avait l’habitude d’uriner sur l’eau immobile. Le fusil en bandoulière, il s’arrêta, dégrafa son pantalon, plongea une main avide. Celle-ci fouilla laborieusement avant de ressortir une verge ratatinée. Le jet, peu puissant, décrivit une courbe décevante. Quand il était jeune, il s’en souvenait, il pissait beaucoup plus loin. Il se sentit envahi d’une profonde fatigue.
Le premier projectile le frappa à la tempe. La main droite chercha aussitôt à protéger le crâne. La gauche, curieusement, essaya de ranger le sexe. Le deuxième projectile éclata l’œil droit.
Un cri horrible. Un vol de pigeons affolés traversa le couvert des arbres. L’épagneul, revenu sur ses pas, aboya à la vue de son maître gémissant qui vacillait, la bouche ouverte. L’œil lui coula dans la main. Un pied glissa. Il bascula lentement, les bras battant le vide. Le corps s’écroula lourdement dans l’eau terreuse. Aussitôt, avec des gestes heurtés, il chercha à se redresser. En quelques secondes la vase qui tapissait les fonds l’avala jusqu’aux genoux. Les mains tendues essayèrent de s’agripper aux troncs mais ils étaient déjà inaccessibles. Les jambes tentèrent de s’arracher à l’emprise de la vase. Chaque effort enfonça davantage le corps, comme dans un vide gluant. La vase froide s’insinuait déjà par la braguette ouverte. Un râle pitoyable se forma, sans aucune force, comme pétrifié. Il essaya de ramer vers le talus mais il s’affala jusqu’au menton. Il se releva aussitôt et s’enfonça encore. Des sanglots d’enfant roulèrent dans sa gorge nouée. Il enleva le fusil de l’épaule et voulut s’en servir comme appui. La crosse disparut comme une cuillère dans un pot de confiture. Le chien aboya avec une énergie redoublée. Le visage au ras de l’eau. La terreur qui l’étouffe. Il réussit enfin à prononcer un faible « non » lorsque le menton entra une nouvelle fois en contact avec l’eau noire. La bouche s’ouvrit tellement que le jus de l’œil y coula. La langue lécha le liquide comme si elle cherchait à sauver quelque chose.
Il sortit des buissons et s’engagea sur les trois troncs. Le chasseur l’aperçut et son visage se réjouit pendant un battement de paupières. Il essaya de l’appeler mais l’eau boueuse s’infiltra dans la gorge. Pendu au cou du jeune homme, il vit un lance-pierres.
Titubant dans la vase vorace, le chasseur tendit les mains, comme une ultime prière. Rencontrant miraculeusement une surface légèrement plus solide, les pieds parvinrent à prendre appui et le visage remonta de quelques centimètres.
Impassible. Juste un sourire moqueur. Il sortit son sexe et urina sur le chasseur.
L’homme, englué, ne put rien faire pour éviter le jet dru et puissant qui l’aspergea. La croûte solide sous les pieds céda d’un coup. Le visage congestionné disparut brusquement, accompagné par un gargouillis infâme. Les doigts se tendirent vers le ciel, happèrent le vide plusieurs fois de suite et se relâchèrent enfin. Ce sont eux qui quittèrent la surface en dernier. La vase effaça aussitôt toute trace de ce repas comme si cet homme n’avait jamais existé. L’eau se calma lentement. Le chien cessa d’aboyer. Il tourna sur les bords du marais en reniflant. Il leva la patte et pissa.
« Voilà un beau geste d’adieu.»
Il retourna sous le couvert des arbres. Il s’assit contre un tronc lisse. Il ferma les yeux, posa les mains en coquille sur son sexe et se concentra sur la paix autour de lui. Il engloba amoureusement sous ses paupières la beauté de la lumière, le chant mélodieux d’un oiseau caché, la douceur du silence, les odeurs de sa sueur mêlée à la sueur de la terre. Ce fut un instant inoubliable. Vraiment. Un moment d’une rare beauté… D’une paix absolue. Un instant suspendu. Soudain, un chaos féerique submergea son cerveau, galaxies colorées, paysages délivrant des sensations inconnues, parades nuptiales d’animaux étourdissants, accouplements divers avec les étoiles, les rochers et le grand corps des océans. Enfin, il ne resta dans sa mémoire encombrée qu’un manège d’images incompréhensibles. En ouvrant les yeux, il eut le sentiment d’avoir connu des rêves n’appartenant pas aux hommes. Il en fut gonflé de joie.
Il était le tueur à gages de la terre et elle le lui rendait bien.
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| | | stip ******
| Sujet: Re: Un instant Sam 26 Jan - 11:55 | |
| J'aurais aimé le tueur moins cruel ou moins humain donc plus innocent ou la victime plus odieuse encore (autre qu'assouvir des besoins naturels peut-être ) pour justifier un peu plus son traitement mais l'adieu du chien m'a bien fait rire ainsi que les considérations du chasseur sur ses capacités.... Urinaires. Joli texte ........ sur un assassin malgré tout Je suis comme ça, je ne peux viscéralement supporter qu'une souffrance soit infligée volontairement à toute forme de vie, même aux pires des hommes, même par vengeance. | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Sam 26 Jan - 13:53 | |
| Et bien, l'objectif est atteint alors ) Je n'avais pas l'intention d'offrir à ce tueur une quelconque justification à son acte...Il s'agit d'ailleurs d'un extrait d'un roman que j'ai écrit il y a longtemps et que j'ai transformé quelque peu et le personnage finit mal. Noyé dans une grotte après son dernier meurtre. Une longue, longue histoire dont aucun éditeur ne veut. | |
| | | stip ******
| Sujet: Re: Un instant Dim 27 Jan - 14:39 | |
| - Thierry a écrit:
- Et bien, l'objectif est atteint alors ) .
Toutes proportions gardées, ta réflexion me rappelle une anecdote. J'avais une vingtaine d'année et vivait en coloc, des précurseurs ã l'époque. Une de mes colocataires que je connaissais depuis l'école maternelle aimait énormément la culture Italienne. Les pâtes, ses amoureux, la politique, l'opéra , le cinéma et tutti quantti. Elle nous a tané pour, qu'avec une autre de ses amies également très italophile (aujourd'hui architecte à Rome), nous allions voir un film de Pasolini dont il y avait une reprise en V.O.au cinéma Beaubourg en ce mois de Janvier ( 82 ou 83) Elle ne voulut pas nous en dire plus si ce n'est,puisqu'elle avait déjà vu l'œuvre en question, qu'elle en profiterait pour aller voir un autre film dans une autre salle. Ainsi fût décidé, elle nous embarqua dans sa visa ,dehors il gelait, puis nous quitta dans le hall. Ce que nous ignorions est que nous allions voir le film le plus.... Atroce, horrible à vomir de l'histoire du cinéma. En gros, ça se passe pendant la seconde guerre mondiale, au nord de l'Italie,ou trois officiers nazis occupant un château vont lâcher leur perversité la plus sauvage sur une bande d'adolescents qu'ils ont raflé dans les villages environnants, le tout sur une trame pseudo-ésotérique. Une horreur, au point où on se dit que celui qui se fait tuer dès le départ en tentant de s'échapper, avait bien de la chance. Nous étions coincées dans cette salle au chaud certes mais nous devions attendre la fin pour la retrouver à la sortie de son film puisque nous devions rentrer ensemble..... Je ne mens pas, nous avons passé la deuxiēme moitié du film la tête derrière nos manteaux, incapables de voir une image de plus de ce film insoutenable (d'ailleurs je m'inquiēte à savoir de quel bois sont faits ceux qui sont capables de le voir jusqu'au bout ) . Nous ėtions furieuses après elle de nous avoir fait ainsi dépenser de l'argent et du temps et quand nous l'avons retrouvée, nous nous sommes exclamées: "mais t'es malade!!!!!! de nous faire un coup pareil " Elle a juste d'un petit rire contrit répondu "l'avantage, après ça , c'est que tu ne peux plus faire de mal à une mouche!" "Mais tu sais bien qu'on n'a jamais pu faire de mal ã une mouche!!! " nous répondîmes toujours horrifiées... "En revanche, maintenant, là, tout de suite, nous avons bien envie de t'étrangler, je crois" ai-je ajouté..... plus tard, cette histoire est devenue un sujet de plaisanterie, elle en prend encore pour son grade | |
| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Dim 27 Jan - 15:02 | |
| Pasolini !! J'imagine bien ce que ça devait être alors, il n'a jamais donné dans la dentelle, même sa mort a été des plus sordides... je comprends que cette copine en prenne encore pour son grade ^^ | |
| | | Morgan Kane Admin
| Sujet: Re: Un instant Dim 27 Jan - 18:22 | |
| http://fr.wikipedia.org/wiki/Sal%C3%B2_ou_les_120_Journ%C3%A9es_de_Sodome
Ce film de Pasolini est Salo, inspiré du roman de Sade. Il est sorti en 1976.
Quand j'ai été le voir, j'ai dû sortir un moment de la salle pour respirer tellement le choc a été violent.
Mais c'est un grand film.
En effet, le vrai thème du film est le sytème fasciste.
Les principaux personnages du film en représentent la base sociale, armée, église, riches industriels.
Le système mis en place est un système totalitaire dans lequel les seules valeurs sont le contrôle absolu des sujets et l'assouvissement des passions des dirigeants.
Le système est condamné dès le début pour des raisons exogènes, l'avancée des troupes alliées. Mais surtout pour des raisons endogènes.
D'une part, les individus contrôlés se créetn des espaces de liberté si petits soient ils, d'autre part, le système est volontairement bati sur des injonctions contradictoires et sur un instinct de mort. Le pouvoir abolu mène au désordre absolu et à la mort.
Pour en dire plus et entrer dans les détails, il faudrait que je revois ce film qui est un chef d' oeuvre. Pasolini a exprimé l'horreur absolue qu'est le fascisme, négation des valeurs de la civilisation occidentale. _________________ Tout smouales étaient les borogoves
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| | | Thierry ****
| Sujet: Re: Un instant Dim 27 Jan - 19:46 | |
| Merci Morgane pour le détail, je n'ai pas vu ce film d'ailleurs et je n'irai pas le voir ^^ D'ailleurs, je ne vais plus au cinéma, alors comme ça, c'est réglé ) | |
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| Sujet: Re: Un instant | |
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| | | | Un instant | |
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