philo Z'amis
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| Nature et activité humaine Covid | |
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Morgan Kane Admin
| Sujet: Nature et activité humaine Covid Lun 4 Jan - 12:36 | |
| Extrait du blog de Petrus Borel:
https://blogs.mediapart.fr/petrus-borel/blog/030121/voltaire-rousseau-le-tremblement-de-terre-de-lisbonne-et-la-pandemie-presente
Le 1er novembre 1755 a lieu dans la capitale portugaise un séisme particulièrement dévastateur. Outre les destructions matérielles innombrables, on compte autour de 60 000 victimes, d'autant plus que le séisme provoque de nombreux incendies et qu'il est suivi d'un tsunami. La nouvelle, qui se transmet dans l'ensemble des capitales européennes, provoque stupeur et effroi et va susciter ce que l'on peut considérer comme une des premières interventions humanitaires internationales de l'Histoire. Parmi ceux qui se désespèrent de cette terrible nouvelle, un certain François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire. Ayant dépassé la soixantaine, ce dernier a alors derrière lui une longue carrière de philosophe, dramaturge, conteur, poète. C'est un homme à la notoriété considérable qui a traité d'égal à égal le roi de Prusse, Frédéric, avec lequel il vient de se fâcher. Représentant du courant des Lumières, il constitue un modèle et une référence pour toute la jeune génération d'écrivains et de philosophes qui gravite autour du projet de l'Encyclopédie auquel d'ailleurs il participe.
Il n'est pas exagéré de dire que le tremblement de terre de Lisbonne provoque chez le grand homme une fêlure dont il ne se remettra pas et qui va durablement affecter sa conception du monde. Il transcrira son tourment intérieur dans un long poème, logiquement intitulé "poème sur le désastre de Lisbonne". Lui qui avait chanté jadis, dans son poème "le mondain", l'hédonisme du temps présent et le paradis terrestre que représentait à ses yeux le monde civilisé, le voilà qui se prend à douter: tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes comme le pensait Leibniz. Le monde est fait de peines et de souffrances que rien ne semble justifier et l'explication religieuse qui consiste à faire d'une catastrophe naturelle un châtiment divin ne tient pas en cela que justes et injustes sont indistinctement touchés de la même manière. Devant cet insondable mystère, Voltaire a des accents qui seront ceux, près de deux siècles plus tard, d'un certain Albert Camus. "La nature est muette, on l'interroge en vain." affirme-t-il ainsi dans une proximité troublante avec la définition de l'absurde tel qu'on la trouve chez l'auteur du mythe de Sisyphe. Cette nouvelle conception de l'existence trouvera sa traduction narrative dans le célèbre conte de Candide, démenti ironique et cinglant à l'affirmation de Leibniz, et dont le tremblement de terre de Lisbonne constitue une des péripéties catastrophiques qui affectent l'existence du héros éponyme. Dès lors que reste-t-il à Voltaire qui, contrairement à Camus, ne peut se résoudre à ne plus croire en Dieu ? L'espérance qu'il est une vie après la mort et qu'elle sera meilleure. Faible consolation pour un esprit positif comme le sien!
A ce cri de détresse que Voltaire n'adresse pas directement à la divinité, c'est un simple mortel qui répondra, un certain Jean-Jacques Rousseau. S'il n'a pas encore la notoriété de Voltaire, ce dernier n'est pas non plus un inconnu. Il s'est fait un nom en publiant deux discours qui ont eu un retentissement certain dans le monde des lettres et de la philosophie, l'un sur les sciences et les arts, l'autre sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Dans le premier, il s'opposait explicitement à la conception qui était celle de Voltaire dans "le mondain", le deuxième lui vaudra une réponse cinglante du même Voltaire où ce dernier avec l'ironie qu'on lui connaît affirmera qu'il lui a pris l'envie de marcher à quatre pattes après avoir lu le discours en question.
En quoi repose la réponse de Rousseau ? Elle peut être résumée en deux arguments principaux. Le premier consiste à dire que la mort n'est pas un mal en soi. Parmi les victimes du tremblement de terre de Lisbonne figuraient certainement nombre de malheureux dont la mort pouvait être considérée plus comme une délivrance que comme une malédiction. En affirmant cela, Rousseau est à la limite de l'hétérodoxie religieuse: il y aurait donc des valeurs supérieures à la vie, et qui en justifieraient le sacrifice. Les révolutionnaires français sauront s'en souvenir lorsqu'ils chanteront à propos de la liberté qu' "un Français doit vivre pour elle/ Pour elle un Français doit mourir." Comment ne pas voir dans le débat actuel sur l'opportunité du confinement un écho de cette position ? C'est en effet l'idée défendue par le philosophe Comte-Sponville que la vie ne saurait constituer le bien absolu et qu'une vie sans libertés, notamment celle de se déplacer ou d'interagir librement dans l'espace social, ne vaut pas la peine d'être vécue et qu'on a le droit de lui préférer la mort ou tout au moins le risque de mourir. En imposant arbitrairement des décisions censées protéger la vie à tout prix, le gouvernement se comporte-t-il autrement que l'église catholique qui interdisait le suicide à ses fidèles, considérant que la vie devait être préservée quoiqu'il en coûte ?
La deuxième objection de Rousseau porte sur la cause du mal. Elle vient selon Voltaire de la nature elle-même. Or, Rousseau fait remarquer que les destructions et les morts qui en ont résulté n'ont pas leur seule origine dans une catastrophe naturelle mais également dans l'activité humaine qui n'a pas pris en compte la possibilité de cette catastrophe. Les maisons ne se sont écroulées et n'ont été ravagées par les flammes que parce qu'elles avaient été construites par l'homme. Dieu ni la nature n'ont rien à voir là-dedans. Cette objection est d'une importance considérable en cela qu'elle modifie radicalement l'approche qui avait été celle en vigueur jusqu'alors: au châtiment divin d'origine surnaturelle venant s'abattre sur les pauvres mortels pour les punir de leurs pêchés, Rousseau oppose une explication rationnelle. La nature a ses lois qui ne peuvent être ignorées et dont il faut tenir compte si on ne veut pas les subir passivement. C'est d'une certaine façon ce qui animera la pensée de celui qui sera le maître d’œuvre de la reconstruction de Lisbonne, le marquis de Pombal: aux rues étroites et tortueuses du Lisbonne médiéval, il substituera de larges avenues rectilignes avec des maisons construites de façon à résister aux secousses sismiques, celles du quartier Baixa qui constitue encore aujourd'hui une des principales attractions pour le touriste qui visite Lisbonne.
Cette prise en considération de l'interaction entre lois naturelles et activités humaines devrait nous servir de boussole dans la crise sanitaire que nous connaissons. L'homme n'est pas responsable de l'apparition du virus, en revanche, l'organisation humaine actuelle, celle de la mondialisation, est largement responsable de la rapidité avec laquelle il s'est propagé. Il serait absurde de ne pas voir que les effets qu'il provoque sont la conséquence directe de notre organisation sociale. Mais considérer cela, amènerait à remettre en cause notre mode de vie.
C'est cette propension à voir l'ordre du monde comme quelque chose d'absurde qui caractérise le sentiment tragique de l'existence. Le héros tragique est un être qui n'est ni tout à fait innocent, ni tout à fait coupable, en cela qu'il est la fois la victime et le responsable de ce qui lui arrive. La faute majeure qui est généralement la sienne est de faire preuve d'hybris, c'est-à-dire de se croire supérieur aux dieux. Dans la mythologie grecque, ce sont les dieux, représentants des forces obscures qui animent le monde, qui se chargent de le punir. La punition est par conséquent de nature métaphysique et morale. Représentant du courant des Lumières qui entend substituer la raison à la croyance religieuse, Rousseau rompt définitivement avec cette vision du monde : les malheurs qui affectent l'homme n'ont rien d'une punition divine, en revanche ils trouvent leur origine et leur explication logique dans les activités humaines. Par conséquent, la dimension tragique de l'existence n'a rien d'une fatalité: l'homme peut échapper à la tragédie par l'exercice de sa raison en cherchant à connaître les lois naturelles et en adaptant son comportement en conséquence. Refuser de considérer les lois naturelles dans la prise en compte de ses actions n'est rien d'autre que la version moderne et rationaliste de l'hybris antique. C'est une forme de croyance en notre toute puissance qui finit toujours par se retourner contre nous, non pas parce que nous aurions pêché contre une quelconque divinité mais parce que nous aurions ignoré les règles qui régissent le monde, règles que seul l'exercice de notre raison peut nous permettre de connaître. Dans le monde rationaliste qui est celui des Lumières, il n'y a donc ni fatalité, ni providence, seulement des enchaînements logiques de causes et de conséquences.
Cependant, nous pourrons objecter à ce type de considérations que le personnage tragique se caractérise traditionnellement surtout par son aveuglement et son ignorance. Si l'on prend le personnage d'Oedipe par exemple, il accomplit les crimes de parricide et d'inceste, ce en quoi il est coupable, mais sans en avoir conscience, ce en quoi il est innocent. Nous n'avons pas cette excuse : ne pas voir en quoi nous sommes responsables de nos actions ne relève pas de l'aveuglement subi, mais volontaire. Les informations existent, suffisamment nombreuses et concordantes pour que nous n'ayons pas l'excuse du "nous ne pouvions pas savoir." _________________ Tout smouales étaient les borogoves
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| | | Morgan Kane Admin
| Sujet: Re: Nature et activité humaine Covid Lun 4 Jan - 12:45 | |
| Pour résumer, l' homme n'est pas responsable des catastrophes naturelles, qui n'ont pas de sens par elles-mêmes, mais il est responsable de leurs conséquences quand, de par son activité il est directement à l'origine des conséquences de celles-ci.
Le tremblement de terre de Lisbonne constitue une catastrophe naturelle, mais les maisons incendiées et écroulées, les victimes sont imputables aux activités de l'homme.
Le Covid est né indépendamment de l'homme, mais sa transmission et sa propagation ont été accélérés par notre rapport à la nature et par notre mode d'organisation.
Dans la tragédie antique, l'homme est puni par les dieux pur son hybris, sa démesure, sa volonté de se faire l'égal des dieux. Mais il pèche par ignorance. Oedipe ne savait pas qu'il tuait son père et qu'il épousait sa mère.
Nous savons que le réchauffement climatique accélère et que nous y contribuons, ou bien, nous ne voulons pas savoir. _________________ Tout smouales étaient les borogoves
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| | | Kitara Admin
| Sujet: Re: Nature et activité humaine Covid Lun 4 Jan - 18:15 | |
| Nous le savons, mais à l'origine de ce changement climatique, il y a des hommes qui gagnent beaucoup d'argent et pour qui cette conséquence pèse bien peu face à leurs gains.
Et pour le commun des mortels, ces personnes sont complètement immaitrisables. | |
| | | Pestoune ***
| Sujet: Re: Nature et activité humaine Covid Mar 5 Jan - 12:05 | |
| Je suis d'accord pour l'ensemble des idées émises mais j'ai une objection Morgan. Lorsque tu dis que l'homme n'est pas responsable de ce virus, je ne suis pas tout à fait d'accord. Les virus mutent tout le temps, nous le savons. Mais pourquoi celui-ci est-il devenu pathogène ? Si on en croit l'une des versions qui veut qu'il s'est créé sur un marché d'animaux sauvages, la responsabilité en incombe bien à l'homme. En effet, s'il n'y avait pas eu cette concentration animale, le virus n'aurait eu aucune raison d'adopter une mutation pour contaminer un nouvel hôte : l'homme.
Comme la fameuse grippe aviaire née dans les élevages énormes de volailles. Et demain qui sait quel virus se développera au sein des fermes à 1000 vaches et plus ?
Comme Rousseau, je pense que l'homme est le créateur de son propre malheur et Dieu n'a rien à voir dans l'affaire. Si l'on croit, on ne peut que constater que toutes les clés étaient entre nos mains pour disposer librement d'une merveilleuse planète ayant créé un équilibre, certes précaires, mais un équilibre du à une interaction entre les différentes formes de vie. Un équilibre que nous nous sommes hâtés de détruire par des prélèvements massifs, par des détournements. La folie humaine n'a pas de limite mais son bon sens, hélas, si. Je suis croyante, mais le Dieu vengeur, le Dieu punisseur, pour moi c'est de la foutaise. Nous n'avons besoin d'aucune entité pour nous fourvoyer tout seul.
Pour moi, Covid est une création involontaire de la folie humaine. Et demain un autre virus prendra le relai, plus pathogène encore, plus mortel. La surpopulation, le réchauffement climatique, le déplacement en masse tant humain que matériel, la promiscuité, tout cela créé un véritable bouillon de culture. | |
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| Sujet: Re: Nature et activité humaine Covid | |
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